Bonjour,

Notre prochain rendez-vous est ce mardi 23 à 18h.Nous évoquerons, entre autres choses nos lectures de « le poulailler métaphysique ».Je vous propose d’en relire un passage auquel je n’ai pas compris grand chose et que vous avez peut-être remarqué également (Voir ci-dessous).Nous essaierons de le décoder ensemble, (c’est une forme d’arpentage!)Des exemplaires « papier » sont disponibles dans une boite à la grange pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu.

Frédéric.

Extrait de « le poulailler métaphysique » particulièrement obscur !
Sur l’échelle de l’esthétique, c’est bien au degré le plus commun que se situe le sentiment empathique. Le sublime emporte l’extase, le beau la joie et le plaisant la jouissance. L’empathie, qui s’éprouve à équidistance entre beau et laid, agréable et pénible, t’anime – plus simplement mais aussi plus substantiellement – d’un sentiment de communauté, un affect ressenti loin de toute évidence, comme un je ne sais quoi passager qui te traverse sans guère plus d’insistance que l’ombre d’un nuage emporté par le grand vent caresse un champ. Et tout comme elle est moins une affinité établie et reconnue qu’une intuition, furtive et discrète, de familiarité, de même elle se déclare moins par un mouvement ferme et précis que par un tremblement, une sorte de frisson. Et ce qui te turlupine, et bientôt te passionne, c’est qu’elle ne t’apprenne à capter ces niveaux insoupçonnés de l’être qu’au prix d’un exercice où elle même s’énonce à bas bruit. Et aussi ne parle-t-elle presque pas, ne se révélant guère qu’en surface, plus souvent devinée par ouï-dire, par des indiscrétions de seconde main (et d’ailleurs contradictoires à mesure qu’elle change, elle, passant de l’accord dans la sérénité à la compassion dans la terreur), se manifestant par
signes quasi inaudibles, inarticulés, d’apparence aussi inoffensive que les borborygmes d’un bébé qui gazouille ou d’un homme qui dort. À certains moments,l’empathie fait ce frêle bruit, bienfaisant et doux, le clapotis d’un filet d’eau,une sorte d’accessoire auditif de l’idylle, et tu l’entends. À d’autres, elle passe par un petit cri, invraisemblable et intrigant : le jappement sympathique lancé par un cabot à l’herbe ingrate d’un talus ; le froissement d’un drap sous les pieds
d’un alité, peut-être malade, qui les contracte involontairement ; la note quasi inaudible émise par une poule à quelques secondes de son sacrifice – il n’empêche : cette somme de presque-riens se mue en une rumeur, comme échappée des orifices d’un grand corps taciturne et mal contrôlé, un chantonnement pas forcément allègre s’élevant dans l’air, et tu l’entends. À d’autres moments enfin,elle apparaît comme l’écho de la calamité qui se rapproche, de massacres en cours, le clopinement
lamentable d’une haridelle efflanquée, la peau sur les os, cagneuse à pleurer, dont la simple approche est un reproche à l’existence, et, plus effrayante à mesure que son apparition est brève, comme le pas rapide d’une chimère d’épouvante, au visage hâve et émacié et aux bras ballants, aperçue l’espace d’une seconde battant la campagne, ou même devinée – car l’esprit d’association est inépuisablement ingénieux – d’après la pointe d’une faux aperçue dressée au milieu des champs,
ou simplement le raclement sur le chemin d’un bout de bois qui peut être le gourdin avec lequel cet être diabolique vient tourmenter l’âme repue du philistin, ou le talon de la jambe de bois sur laquelle clopine la Grande-Boiteuse, et tu l’entends ; au jour des morts individuelles, c’est la prêtresse revêche, aperçue en songe assise sur le chariot,le visage hiératique mais frémissant de compassion silencieuse et de résignation, indiquant, hélas !, que ce mal prend place dans la
procession, le rendant ainsi moins unique, certes, mais plus fatal ; et au jour des trépas collectifs, c’est la grande Furie sans larmes dont la silhouette flotte et scintille au bord des fosses communes et sur les barbelés des camps, et tu l’aperçois. De tout cela – vol d’hirondelle ou pas botté, elfe, rayon vert, voix dans l’orage, seconde de silence dans l’œil du cyclone –, tu sens la caresse sur l’air du temps. Exercices d’empathie. Enquête à faire.

Catégories : Article divers

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